Hier, le film de Vianney Lebasque, Chacun pour tous, est sorti dans les salles de cinéma.

Synopsis

Martin (Jean-Pierre Darroussin), coach de l’équipe française de basketteurs déficients mentaux, est au pied du mur. En pleine préparation des Jeux Paralympiques de Sydney, ses meilleurs joueurs viennent de le laisser tomber. Refusant de perdre la subvention vitale pour sa fédération, il décide de tricher pour participer coûte que coûte à la compétition. Il complète son effectif par des joueurs valides, dont Stan (Ahmed Sylla) et Pippo (Olivier Barthélémy), deux trentenaires désœuvrés. Même Julia (Camélia Jordana), la psychologue de la fédération, ne s’aperçoit pas de la supercherie. En s’envolant pour Sydney, Martin est loin d’imaginer le mélange explosif qu’il vient de créer.

Interview de Vianney Lebasque* :

Votre film précédent, Les Petits Princes, se déroulait déjà dans le milieu sportif.

Cette fois, c’est le handicap qui m’intéressait avant tout. J’ai beaucoup appris au contact quotidien d’handicapés lorsque j’ai été président, il y a trois ans, du jury du festival de courts métrages sur le handicap à Cannes, Entr’2 marches.
De plus, mes parents ont tenu un gîte de vacances pour enfants pendant vingt ans et il arrivait régulièrement qu’il y ait des enfants en situation de handicap. Ce qui a sans doute contribué à me sensibiliser sur le sujet.

Vous vous êtes inspiré d’une histoire vraie.

J’en ai gardé les grandes lignes. Lors des Jeux Paralympiques de Sydney en 2000, dans l’équipe d’Espagne de basket réservée aux déficients mentaux, dix joueurs ne souffraient d’aucun handicap mental. En finale, ils ont rencontré les Russes sur lesquels pesaient, aussi, une suspicion de triche. Et personne n’a vraiment eu intérêt à divulguer le scandale. Il est déjà si difficile de promouvoir le sport pour handicapés. En 2000, c’était la première fois que les athlètes handicapés étaient dans le même village que les valides. Mais personne dans les tribunes… Cela change, heureusement.

A partir, donc, de cette histoire cynique, j’ai voulu raconter autre chose. D’abord qu’il n’est pas si aisé, finalement, de catégoriser les gens : la ligne est ténue entre les efficients et les déficients… Et, surtout, traiter des rapports humains qui s’établissent entre les vrais et les faux déficients mentaux dans les vestiaires, dans les chambres. De gentils losers comme Stan (Ahmed Sylla) ou son pote Pippo (Olivier Barthélémy) vont découvrir la tolérance…

Pourquoi prendre le parti de la comédie ?

Pour m’adresser à un public large, y compris des jeunes qui pourraient, je l’espère, changer leur regard sur le handicap. La difficulté était d’aborder le sujet le plus subtilement possible : l’efficacité de divertissement, mais avec sincérité, sans vulgarité, en restant le plus exigeant possible, entre la comédie et le drame. De l’écriture jusqu’au montage, mon obsession était de ne jamais me moquer : rire des préjugés, oui. « Rire avec », ne jamais « rire de ».

A la suite de mon premier film, j’ai reçu des lettres d’enfants malades qui me confiaient qu’il les avait aidés à se battre contre la fatalité, et leur avait redonné de la force : si un film peut servir à cela, il faut être d’autant plus honnête en l’écrivant, sans mièvrerie, ni happy end bête et méchant.

Chacun pour tous est un film d’équipe, un film choral. Comment avez-vous constitué le casting ?

Pour le rôle de l’entraineur, à la fois charismatique, bien intentionné, mais pas toujours sympathique, Jean-Pierre Darroussin me semblait évident : il peut humaniser n’importe quel personnage ! J’ai rencontré des gens qui travaillent avec des handicapés : ils peuvent être bourrus, brusques avec eux, mais ils consacrent des mercredis entiers à ces gamins. Jean- Pierre était parfait pour ce mélange de maladresse et de bonté. C’est fou : il joue la situation sans effet, sans en rajouter, et il est émouvant. Il me fallait un tel comédien pour donner le « la » à toute l’équipe. Avec lui, sur le plateau, j’étais en vacances !

J’avais beaucoup aimé Ahmed Sylla dans L’ascension et c’était intéressant de le tirer vers le drame, et de faire l’inverse avec Olivier Barthélémy en lui proposant de la comédie. Le parfait duo moteur du film. Quant à Estéban, j’ai écrit ce rôle pour lui, on avait déjà tourné ensemble et je savais qu’il devait avoir une place de choix dans cette équipe.

Et dans le rôle de Julia ?

Il n’y a qu’un rôle féminin dans le film, et je voulais une actrice dont la personnalité, le caractère s’imposent d’emblée. Camélia Jordana a ce pouvoir d’équilibrer un casting masculin à elle toute seule ! Comme le personnage de l’entraîneur, elle incarne, aussi, la charge que peut représenter, au quotidien, d’avoir un parent handicapé. Mais elle sourit…

Et pour les deux jeunes interprètes handicapés ?

Avec ma directrice de casting, Emma Skowronek, nous avons fait des recherches pendant quatre mois dans les ESAT et auprès des travailleurs sociaux. Il fallait d’abord réussir à avoir accès à ces jeunes, les barrières administratives sont complexes il faut s’armer de patience. Ensuite, nous avons organisé des rencontres grâce à leurs accompagnants. Je leur demandais s’ils avaient envie de jouer, s’ils étaient motivés, j’essayais d’apprendre à les connaître mais ce n’est pas toujours facile en quinze minutes. On proposait alors aux plus motivés de venir passer un essai filmé… et soyons francs, nous sommes passés par toutes les phases durant ce casting mais nous avons persévéré car on savait que le sujet du film était là.

Vous n’avez jamais pensé à faire jouer les handicapés par des acteurs valides ?

Pas une seconde ! C’était la condition pour que je fasse le film. Comment raconter la rencontre d’handicapés et de valides si les handicapés ne le sont pas réellement ! Quand j’ai passé une semaine avec eux au festival Entr’2 marches, c’est la première chose qu’ils m’ont dite : à quel point ils étaient énervés que les handicapés soient incarnés, au cinéma, par des valides.

Et puis vous avez trouvé votre Freddie et votre Yohan …

Vincent Chalambert et Clément Langlais ! Nous sommes tombés sur une compagnie de théâtre formidable, Le Théâtre du Cristal, dont le metteur en scène, Olivier Couder travaille exclusivement avec des acteurs en situation de handicap et qui arrive à un résultat exceptionnel. Nous avons assisté à un de ses spectacles : quel plaisir du jeu, du collectif ! Vincent et Clément faisaient partie de cette compagnie. J’ai d’abord repéré Vincent, qui avait un parler si mélodique et puis Clément, qui était déjà un acteur très complet. En fait, je ne connais pas précisément leur handicap, et je n’ai pas voulu le savoir. Olivier Couder a la même position, d’ailleurs. Le film essaye de dire cela, aussi : les différentes pathologies peuvent vivre ensemble, et ces handicapés sont des personnalités avant d’être des cas pathologiques.

Le tournage a dû être une petite aventure.

Une aventure humaine passionnante. Toute l’équipe, tous les autres comédiens, prenaient soin d’eux. L’esprit d’équipe se mettait en place ne serait-ce que par leur présence. Même s’ils comprenaient parfaitement le scénario et les situations à jouer, évidemment je devais avoir une attention particulière et trouver les bons mots pour travailler avec eux, mais il faut s’adapter à la personnalité de chaque comédien, et au final, ce n’était pas si différent d’un tournage classique. Surtout qu’ils ont très vite pris les bonnes comme les mauvaises habitudes. Ils avaient notamment très bien compris qu’à chaque caprice, tout le monde s’occupait d’eux et je crois qu’ils en ont pas mal profité.

Les scènes de matchs furent-elles compliquées à tourner ?

Celle de la finale est la plus grosse scène que j’ai eu à filmer. Clément et Vincent font du théâtre, mais ils ne font pas de basket ! D’ailleurs, de toute l’équipe, il n’y a qu’Olivier Barthélémy qui joue bien. Alors, faire croire que tout ce beau monde joue au Jeux Olympiques… Les Jeux Paralympiques, ce n’est pas la NBA, certes, mais tout de même, il y a du niveau. Nous avions un vrai entraineur qui s’est très bien occupé de Clément et Vincent pour les gestes simples, puis pour essayer de concevoir des actions de jeu. Mais le sport en lui-même ne m’intéresse pas tant que ça : il me sert de décor pour traiter du collectif qui abolit les préjugés. Y compris sur le handicap physique. Je tenais particulièrement à la séquence où Pippo, le plus moqueur, caresse les jambes de Rose, la superbe handicapée moteur. La scène n’était pas écrite et j’ai fait sortir toute l’équipe du plateau pendant deux heures pour répéter avec les deux acteurs, Olivier Barthélémy et Nicole Kirby, pour essayer de trouver la bonne approche cette séquence.

Vous choisissez de ne pas filmer frontalement le dernier panier de la victoire.

J’ai voulu que le spectateur entre dans le film avec le point de vue des valides tricheurs, mais le rêve de victoire, lui, appartient aux déficients. Les cinq dernières minutes du film appartiennent donc à Yohan et Freddie. Yohan y croit à fond, c’est le moment le plus important de sa vie, et c’est dans les yeux de Freddie que j’avais envie de lire l’émotion. Les autres, à ce moment-là, je m’en fiche.

*interview issue du dossier de presse du film.